if i die young, bury me in satin

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Je tiens l'album photo entre mes mains. Il est en cuir, et je passe mes doigts sur la couverture, sentant le léger relief de la matière. J'aime ressasser mes souvenirs, pour me rappeler d'où je viens et qui je suis. Poussant un léger soupir, j'ouvre le gros livre. Le faire-part est toujours là, en évidence. Je souris. Mes parents n'avaient que peu de moyens, ils ont donc fait très simple. Un petit morceau de papier, avec deux photos de nourrissons, et un petit texte annonçant notre venue au monde. Je tourne les premières pages. C'est surtout des photos de ma soeur et moi, peu de temps après notre naissance, le 24 juin 1990, à Paris, dans une des nombreuses maternité, je ne saurais dire laquelle. Ma mère est méconnaissable sur ces photos, tellement elle paraît fatiguée. Il faut dire qu'accoucher de jumeaux n'est pas de tout repos. De plus, elle a subi une césarienne, car nous sommes nés prématurés. Nous paraissons minuscules et tellement fragiles, comme si rien que de nous toucher nous briserait en morceaux. Je suis tout de même plus gros que Léonie, qui ne pèse pas plus lourd qu'une plume. Attendri, je tourne une nouvelles fois les pages, sautant le passage où nous sommes bébés, car je n'en garde aucun souvenir. Je tombe enfin sur une photo de nous deux, où nous semblons avoir à peu près cinq ou six ans. J'ai un grand sourire, et Léonie rit aux éclats. Je me rappelle cette journée.

C'était un beau jour de printemps. Notre mère, profitant du soleil, avait sauté sur l'occasion et nous avait emmené au parc. Nous n'avions pas de jardin pour nous défouler, car nous vivions dans un hlm en proche banlieue de Paris, alors chaque sortie était grandement appréciée. Dès que nous sommes arrivés à l'air de jeu, nous avons couru vers le toboggan. Il n'y avait que nous, et on profitait d'être seuls pour faire les fous. Il faut dire qu'on s'entendait super bien, et malgré nos différences on était sur la même longueur d'onde, surtout quand il s'agissait de s'amuser. Ma mère nous surveiller du coin de l'oeil, car elle venait d'apercevoir certaines de ses amies et s'entretenait avec elle. Nous nous rendions au bac à sable lorsque d'autres enfants se joignirent à nous. Ils étaient un peu plus âgés, et ils commencèrent à se moquer de ma soeur, parce qu'elle était très petite de taille, à cause d'un problème de croissance. Ils étaient de notre école et ce n'était pas la première fois qu'ils l'embêtaient. Elle était plutôt timide, et j'avais l'habitude de la défendre, c'est donc naturellement que je leur criai quelque chose, je ne me souviens plus quoi exactement. Je poussais ensuite celui qui était le plus méchant et qui prenait toujours la parole, un peu le chef quoi, et je le jetai dans le sable. Hébété après mon action, je pris la main de ma soeur et nous courûmes, voulant éviter les remontrances. Nous allâmes nous cacher dans un coin de rue, et dès que notre souffle se calma, nous éclatâmes de rire. Un de ces fous rires incontrôlables, qu'on ne peut pas arrêter facilement. Après nous être calmés, nous sommes rentrés chez nous. On s'est fait disputer sévèrement par notre mère, folle d'inquiétude. Malgré ses reproches, nous n'avons pu nous empêcher de rire une nouvelle fois en pensant à l'après-midi. Attendrie par cette image, ma mère a oublié sa colère et nous a pris en photo, tous les deux.

Je change encore de page. Il y a des multitudes de photos. Mes parents ont mis longtemps à faire cet album, et je leur suis reconnaissant d'avoir pris cette peine. Quand ils ne travaillaient pas, c'était une des façons dont ils occupaient leur temps. Une photo m'attire l'oeil. C'était à nos dix ans, à Noël...

J'étais le plus heureux des enfants. J'avais eu le cadeau dont je rêvais, un ordinateur. Je savais que mes parents avaient du beaucoup économiser pour ça, parce qu'ils n'avaient pas beaucoup de moyens. Ma mère était femme de ménage, et mon père policier. Ils travaillaient énormément, pour nous apporter une bonne éducation et de bonnes conditions de vie. Quand ils m'ont offert mon cadeau, ils m'ont rappelé que pour avoir ce que l'on veut, il faut travailler dur et ne jamais baisser les bras. Cette phrase m'est toujours restée en tête. Je sus dès cet instant que je me donnerais toujours les moyens d'y arriver.

Je cligne des yeux pour chasser mes émotions, et je continue de feuilleter l'album. Une nouvelle photo. Mon entrée au collège.

Je venais d'arriver chez moi. J'étais tout content, car j'avais eu mes premières notes. Et elles étaient bonnes. Je voulais montrer à mes parents que je réussissais, et que je pourrais devenir une grande personne plus tard. Ils me félicitèrent, et ma soeur arriva peu après moi. Depuis quelque temps, elle devenait étrange. Elle s'éloignait de moi, et désormais nous ne parlions que très peu. Je pensais que c'était le collège qui la perturbait, et je ne cherchais pas à savoir ce qui se passait.

Je soupire. J'arrive maintenant à une photo de l'année où tout a basculé, l'année de nos seize ans. Je ferme les yeux.

Elle était partie pour une soirée. Je ne lui demandai pas où, nous n'étions plus vraiment proches. Nous avions chacun notre bande d'ami, et il n'y avait plus de place pour des liens fraternels. J'étais un élève plutôt sérieux, qui écoutait en cours et qui révisaient ses leçons. En dehors du lycée, j'aimais bien m'éclater, mais dans la limite du raisonnable. Je n'étais pas vraiment un fêtard. Ma priorité dans la vie, c'était d'avoir mon bac et d'entrer dans une école de médecine pour devenir infirmier. Il fallait que j'ai une bourse, et c'était mieux avec de bonnes notes. Ma soeur était loin d'être dans cet optique. Elle était considérée comme cancre, et adorait faire la fête, fumer, boire et se droguer. Mes parents ne savaient rien de ce dernier point, même s'ils s'en doutaient un peu. Bref, elle était partie, et alors que le couvre feu était à deux heures, à presque quatre heures du matin elle n'était toujours pas rentrée. J'avais invité un pote chez moi, et mes parents tournaient en rond dans l'appartement, attendant des nouvelles. Finalement, un coup de téléphone. Léonie était à l'hôpital, sa meilleure amie avait fait une overdose. Elle venait de décéder. Mon père alla tout de suite la chercher, et elle revint en pleurs. Ses propos étaient complètement incompréhensibles, et quand elle réussit à articuler, elle nous demanda de ne pas lui poser de questions.

Elle n'as plus jamais été la même. Elle s'était complètement renfermée sur elle même, et n'adressait plus la parole à personne. Elle refusait de voir un psy. Puis elle a complètement foiré son bac, pendant que je le réussissais avec brio. Je ne savais plus que faire. J'étais toujours gonflé d'optimisme, mais la voir dans cet état me tuait à petit feu. Elle est partie après nos dix huit ans, nous disant de ne plus s'inquiéter pour elle. J'étais mort de peur. Depuis cette époque, il n'y a plus de photos. Mes parents aussi étaient inquiets pour elle. Il la pensait morte, mais je refusais de voir ça ainsi. J'ai eu ma bourse, et j'ai fait passé mon diplôme d'infirmier. J'ai essayé de ne plus penser à cette histoire, d'aller de l'avant. Mais quand un de mes potes parti habité à Genève m'a dit qu'il l'avait croisé dans la rue, je n'ai pas hésité une seconde. J'ai fais mes valises, et j'ai pris le premier emploi d'infirmier qui se présentait. C'était dans un hôpital psychiatrique. Pas ce dont je rêvais, mais ça suffisait. J'aurais tout le temps de trouver quelque chose de mieux plus tard.

J'envoie tous les mois de l'argent à mes parents. Ca fait presque trois mois que j'habite ici, mais aucune trace de ma soeur. Je ne désespère pas. L'espoir fait vivre, n'est-ce pas ?

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